S’il est un athlète qui peut se permettre d'évoquer le saut en hauteur d’hier et d’aujourd’hui, c’est bien Henry Elliott. Même si le Rémois, artiste du rouleau ventral, n’a pas connu la réussite lors des deux concours olympiques auxquels il a participé en 1968 et 1972. Souvenirs et regrets.
LES JEUX OLYMPIQUES A 45 MINUTES DE REIMS / ÉPISODE 3
PARIS 2024 / CÉRÉMONIE D'OUVERTURE LE 26 JUILLET
McGyver n’était pas encore né à la télévision mais il avait déjà fait des émules. Avant l’heure donc, les athlètes (d’autres aussi) devaient faire preuve d’une imagination débordante pour pratiquer leur sport et leur art et surtout se préparer pour tenter de décrocher de belles breloques.
L’exemple du jour se nomme Henry Junior Elliott, un p’tit gars né à Reims au milieu de l’hiver 1946 qui, à l’adolescence, rêva d’imiter les glorieux footballeurs du Stade de Reims, ceux de 58. « Oui, je voulais devenir pro, se souvient-il. J’ai passé des tests plutôt concluants... »
L’avenir venait-il de s’inscrire en rose ? « Pour passer pro, il fallait avoir 17 ans. » Coup de massue. « Alors je me suis tourné vers l’athlétisme. » Le jeune Henry regorgeant de talents, s’installa dans les starting-blocks du 80 m. L’ado pressé ne mit pas bien longtemps (8’’8) pour se rendre compte qu’il avait trouvé sa voie.
Henry se met au vert à Reims
La ligne droite n’était pourtant pas aussi droite qu’il y paraissait. « Lors d’une compétition interclubs, il manquait un sauteur en hauteur dans l’équipe de la VGA Saint-Maur. » Pas besoin d’être devin pour imaginer la suite. « Je m’y suis collé et j’ai passé 1,70 m en ciseaux. » Cette technique ne dira pas grand-chose aux jeunes générations. Disons qu’elle ne favorisait pas les hautes performances ! « Mais, c’était pas mal, alors je me suis dit : je continue. »
L’étape suivante, c’était le rouleau ventral. Cela vous parle davantage ? Le jeune Elliott efface une barre à 1,95 m. « C’était parti », souligne-t-il à retardement. « Le talent ne suffit pas. Il faut beaucoup de travail. » Alors, Henry se remonta les manches, progressa dans la hiérarchie jusqu’à postuler pour les JO de Mexico en 1968.
Si le passage d’espoir de la discipline à celui de potentiel candidat aux plus belles médailles ne réclame que quelques lignes, le travail sur le terrain a demandé plus de temps. « Pour me mettre dans les meilleures conditions, j’ai choisi de quitter la région parisienne et ses sollicitations. Jean Poczobut entraînait le Stade de Reims, ma ville natale. Alors je suis venu me mettre au vert à Reims. »
« Je ne voulais pas être prisonnier du principe de Coubertin »
Je sens votre impatience : « Et les Jeux dans tout ça ? » Les installations sportives n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui. Les athlètes du Stade de Reims devaient faire preuve d’imagination (souvenez-vous du McGyver des premières lignes) pour magnifier leur travail. « A Saint-Symphorien et au Parc Pommery (aujourd’hui Parc de Champagne), je sautais le plus souvent au-dessus des poteaux de handball », lâche Henry Elliott. Soit une hauteur de 2,05 m.
La méthode avait du bon. Henry Elliott tutoyait régulièrement le record de France qu’il finit par battre lors d’une compétition à Font-Romeu (2,17 m). « Je ne l’ai pas gardé longtemps, en sourit-il encore. Robert Sainte-Rose (son meilleur rival) l’a amélioré dès la barre suivante (2,19 m). » Mais l’essentiel était réalisé, les deux hommes ayant composté leur visa pour le Mexique.
« Ce que je ne voulais surtout pas, c’était être prisonnier du principe de Coubertin. » Pas question de se satisfaire d’une participation à cette grand-messe du sport. « Cinq jours avant le concours, j’avais passé 2,20 m à l’entraînement ». Dans ses yeux, on peut encore déceler tout ce que cette performance avait laissé naître.
« La seule fois où j’ai pleuré pour de l’athlé »
Même si Dick Fosbury et son drôle de saut sur le dos étaient venus troubler une discipline très académique, les 2,20 m d’Elliott pouvaient rapporter gros. « Mais, j’ai été rattrapé par le stress. J’avais déjà disputé ma finale dans les jours précédents l’épreuve. Quand je suis entré sur le stade pour les qualifs, l’entraîneur national du saut m’a dit que j’étais tout blanc. Si, si (rires). » Résultat : une élimination à 2,09 m. « C’est la seule fois où j’ai pleuré pour l’athlé. »
Le coup était rude mais à 22 ans, on possède les ressources pour rebondir. « Je me suis dit, il faut que tu sois à Munich dans quatre ans. » Un nouvel adversaire allait s’inviter dans cette course aux honneurs. « Pendant ces quatre ans, le fosbury s’est développé. Beaucoup d’athlètes me sont passés devant. Des Allemands notamment. Fallait-il prendre les mêmes produits qu’eux ? »
Rappelez-vous qu’à cette époque, l’olympisme était amateur. A Mantes-la-Jolie, Henry Elliott travaille comme moniteur municipal et débute sa carrière d’entraîneur. C’est dans ces conditions qu’il apporte la touche finale à sa préparation. Il connaît la mécanique du concours et décide de sa stratégie olympique : un premier saut à 2,10 m puis l'impasse jusqu'à 2,18 m.
« Je n’étais pas très loin, puis je rate d’un poil... »
« Je m’étais préparé en conséquence. Entre les deux hauteurs que j’avais choisies, il y avait normalement une attente de quarante-cinq minutes. A Mantes où je m'entraînais, il y avait un sautoir attenant à l’école maternelle. J’effectuais un saut à 2,05 m puis je partais travailler. Je revenais une heure après pour un saut à 2,10, ainsi de suite. Quand j’étais en avance, je me plongeais dans un bouquin, Béru au sérail (*) », se souvient-il.
Malheureusement, ce timing n’a pas été tenu à Munich. Pour avoir le droit de défier les 218 centimètres de sa seconde barre, Henry Elliott a dû patienter 1 h 45 !
Premier essai, « je n’étais pas très loin », deuxième tentative, « je rate d’un poil » et ultime chance... « je ne sais pas. J’ai fait une seule erreur à Munich. » Fin de son aventure bavaroise et de ses illusions olympiques. Malgré une technique du ventral louée par le microcosme de la hauteur, Henry tire des enseignements sans appel : « J’ai pris conscience de l’adversité, qu’il y avait de nombreux sauteurs qui avaient des qualités supérieures aux miennes, avec d'autres moyens. C’était fini. »
(*). – L'inspecteur Bérurier, dit Béru, est un des personnages-vedette de Frédéric Dard dans sa saga des San-Antonio.
LA PHRASE
Le rouleau ventral made in Elliott a été montré dans toutes les écoles d’athlétisme. Cette technique a progressivement laissé la place au fosbury flop à partir de 1968. L’expert ès-rouleau explique – techniquement – la différence entre ces deux techniques : « Le ventral, c’est descendre pour remonter tandis que le fosbury, c’est refuser de descendre. » Henry Elliott parle bien sûr des dernières foulées de la course d’élan et de l'impulsion.
AUJOURD'HUI
Les records de France appartiennent à Mickaël Hanaby (2,34 m en 2014) et Mélanie Melfort (1,97 m en 2007).
Les records du monde sont la propriété du Cubain Javier Sotomayor (2,45 m depuis le 27 juillet 1993) et de la Bulgare Stefka Kostadinova (2,09 m depuis 1987).
RECORDS OLYMPIQUES : 2,39 m par l'Américain Charles Austin à Atlanta (1996) ; 2,06 m par la Russe Yelena Slesarenko, 2,06 m à Athènes (2004).
CHAMPIONS OLYMPIQUES EN TITRE (Tokyo 2001) : Mutaz Barshim (Qatar) et Gianmarco Tamberi (Italie) ; Mariya Lasitskene (Russie).
Mes respects, mon Général !
En 1965/1966, Henry Elliott effectue son service militaire au Bataillon de Joinville. Cette unité de l'armée française accueillant des appelés sportifs (21 000 au total) est l’objet de toutes les attentions. Le général de Gaulle, l’initiateur de la politique publique du sport, veut se rendre compte des moyens mis en œuvre et de leur efficacité. Lors de sa visite des installations du Bataillon le 7 octobre 1965, il fait une halte devant le sautoir.
« Il était prévu que l’on passe une barre à 1,80 m », se souvient Elliott. « Quand de Gaulle s’est approché, on s’est rendu compte que notre barre était ridicule à côté des 196 cm du Général. On l’a placée ensuite à 2,05 m. J'étais en training, pas équipé pour une telle hauteur. » Cela n’a pas empêché le sociétaire du Stade de Reims de franchir cette barre-exhibition à la satisfaction, certainement, de celui surnommé affectueusement « Le Grand Charles ».
Homme d’affaires... et de terrains
Rien n’effraie (ou n’a effrayé) Henry Elliott. Convaincu, après les JO de Munich, que sa technique, pourtant irréprochable, du rouleau ventral ne pourrait résister à la vague du fosbury et ne suffirait pas à compenser les atouts physiques de ses adversaires (Fosbury mesurait 1,93m, Tarmak 1,93 m, Dwight Stones 1,97 m et Henry Elliott... 1,75m), le Rémois s’est rangé des affaires de l’athlé pour essayer d’en faire (des affaires). Toujours dans l’athlétisme, mais de l’autre côté de la main courante. « Ça n’a pas marché. On était à une époque de racisme pas très nette. A deux – trois ans près, cela aurait été différent. »
La blessure morale a laissé une cicatrice que la création de la société « BE international » n’a pas refermé. « Avec un ami, nous avions inventé une piste d’athlétisme qui éliminait les ondes de choc et donc réduisait le nombre de tendinites. » Du tartan avant l’heure.
Malheureux en affaires, Henry Jr Elliott revint donc vers ses premières amours : l’athlé et le terrain comme CTD (Conseiller technique départemental), CTR (régional) puis entraîneur national de la hauteur. Il dispensa même son savoir en Afrique, au Venezuela pendant deux ans avant de boucler la boucle au Creps de Reims avec les jeunes du Pôle et une certaine Eunice Barber (championne du monde de l'heptathlon 1999 et du saut en longueur 2003).
Vous pensez bien que sa retraite ne pouvait être tranquille. Le golf l’a maintenu sur le terrain mais pas avec la réussite voulue. « J’avais un handicap de 3. » Pas suffisant pour ce compétiteur dans l'âme. «Je voulais être dans les 1000 premiers français. »
A (re) lire aussi : La saga des Jeux à la rémoise
Comments