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Deneuville dans le grand bain

Photo du rédacteur: yves doguéyves dogué

Christophe Deneuville a soufflé le show et l’effroi durant sa courte carrière de nageur de haut niveau. En 1984, les promesses entrevues l’ont propulsé aux Jeux olympiques de Los Angeles puis ont attisé les convoitises... et les erreurs de casting. A 20 ans, il a tiré sa révérence au monde aquatique.


LES JEUX OLYMPIQUES A 45 MINUTES DE PARIS / ÉPISODE 6


J - 65

PARIS 2024 / CÉRÉMONIE D'OUVERTURE LE 26 JUILLET



L’HISTOIRE EST BELLE et cruelle à la fois. Belle car elle démontre que la volonté, la discipline et la persévérance peuvent vous permettre de mener à bien vos projets. Même les plus fous. Cruelle car elle nous plonge dans le monde impitoyable des querelles de personnes, des luttes d’influence, du lobbying, voire des coups bas.


Champion en acier trempé. La définition a collé à la peau de Christophe Deneuville pendant sa courte carrière de nageur de haut niveau. L’acier, c’est sa force de caractère ou encore sa puissance. Trempé... pas difficile à imaginer ce grand gaillard, fâché avec l’école mais habité par une furieuse volonté de devenir pompier comme son papa, se transformer en costaud des bassins, en briseur de vagues.

Aujourd’hui, Christophe Deneuville ne peut répondre aux questions. La maladie étouffe et embrouille ses souvenirs.

Les cahiers et les documents sont soigneusement archivés.

Son entraîneur de toujours, Jackie Batot (photo), parlera donc pour deux. Sa mémoire et ses innombrables cahiers spiralés recèlent d’articles, d'anecdotes, de faits bien réels. De joies et de rancœurs aussi.


L’appétit vient en nageant


L’histoire aurait donc pu être belle. « Il est venu au Stade de Reims à l’âge de 9 ans pour apprendre à nager. Quand il a maîtrisé les quatre nages, il est passé dans le groupe pré-compétition puis compétition. »


A 13 ans, Christophe avale avec plaisir (?) les longueurs de bassin et montre une belle aptitude pour la brasse. « Il avait le physique, se souvient Jackie Batot. Musculairement, il était costaud. » Christophe ajoutait même, lors de l'interview que j'avais réalisée en juin 84 (si, si) pour VRI qu'il fallait « aussi être grand et fin, fort moralement et travailler toujours plus. »


Combien d’espoirs se sont noyés dans l’adolescence et ont rapidement oublié le chemin de la piscine ? Mais, comme l’histoire est belle, l’ado de Bétheny tient bon, franchit régulièrement les portes de la piscine Talleyrand et commence à chatouiller les chronomètres. Une belle récompense pour son entraîneur.


L’appétit venant en nageant, Christophe se met en tête de tout dévorer... et d’abandonner ses études pour lesquelles son intérêt était anecdotique. Christophe à 16 ans. Dans 18 mois, tous les regards convergeront vers Los Angeles et les Jeux olympiques. « Je veux y aller », dit-il à son entraîneur. Le challenge est utopique pour ce quasi-inconnu qui ne pointait alors qu’au 8e rang des brasseurs français.


Visa pour Los Angeles


« On a établi un calendrier et un programme comportant deux entraînements quotidiens, six jours par semaine et un stage de trois semaines à Font-Romeu tous les trimestres », dévoile Jacky Batot. À 1 800 mètres d’altitude, loin de l’agitation fédérale, Christophe séjourne 5 heures par jour dans l'eau, consacre 1h30 à l'indispensable musculation. Bref, cette cadence infernale lui permet d'emmagasiner les globules rouges dont il aura besoin dans le bassin olympique.


Tout va s’accélérer après son troisième stage dans les Pyrénées. La Fédé décide d’organiser les sélections olympiques un mois plus tard. A Vittel, Christophe éclabousse la concurrence de toute sa jeune classe. « Il bat le record de France du 200 brasse (2’20 ‘’44) », sourit encore Jackie Batot, et gagne son billet pour la Californie. Christophe a 17 ans et demi et sera le plus jeune de la délégation française.


L’histoire va, malheureusement, devenir cruelle pour le Marnais qui commençait à rêver et à parler de finale. « A l’époque, ce sont les deux entraîneurs de la Fédé qui encadraient l’équipe de France aux JO. Les entraîneurs de clubs n’étaient pas autorisés à s’occuper de leurs nageurs. » Deneuville est pris en charge par l’un d’eux... spécialiste du dos. « Il l’a cassé, regrette encore Jackie Batot. Quelques jours avant sa série, il lui a demandé de nager 4 fois 50 m à fond avec dix secondes de récupération entre chaque série. »


 

Extrait du livre de souvenirs de Jackie Batot (avant la série)

" Je constate qu'il a le visage pâle. Il a peur, c'est évident. Je prends ma caméra et, avec le zoom, je vois que Christophe semble paniqué, perdu devant cette foule impressionnante. Va-t-il se surpasser dès qu'il touchera l'eau ? Je n'y crois guère, le connaissant bien. Il est dans un jour sans. Le coup de pistolet est donné. Christophe part dernier, ce qui n'est pas son habitude. Il nage mal. Il est désordonné. Il ne glisse pas. J'ai l'impression qu'il patauge. Aux 100 mètres, il passe en deuxième position mais en 1'09''63. C'est fini, Christophe ne pourra réaliser mieux que 2'24. Il n'ira pas en finale. Aux 150 mètres, il est 3e et le restera jusqu'au bout sans jamais donner l'illusion d'un éventuel retour dans la dernière longueur. Je suis déçu. Lui aussi doit être abattu. "
 

Le résultat ne s’est donc pas fait attendre. Christophe nage quatre secondes moins vite que son temps de référence et échoue à une place de la finale B. « Avec 2’20’’44, il passait. » Christophe n’a pas fini de boire la tasse. Écœuré par ses non-Jeux, il cède aux sirènes du Canet-en-Roussillon. « Là-bas, ils ont oublié que sa ration d’entraînement, c’était 6 km par jour. Pas 15 !  Au bout de trois mois, Christophe a tout abandonné. »


Mais le p'tit gars de Bétheny est un cas particulier. « Quand il décide quelque chose, il met tout en œuvre pour tenir son objectif », rappelle son coach. Il décide alors de tout arrêter... mais ne tient qu'un an et demi avant de revenir à l’eau et de viser une qualification pour les championnats de France. Vous l’avez deviné, il relève le défi et décroche même son billet pour le championnat d’Europe à Schiltigheim. Il a 19 ans mais arrête tout.


S’il tire un trait sur la natation, il n’oublie pas qu’il a un autre objectif à atteindre. « Il a toujours voulu être pompier comme son père. » Et quand il veut, il fait ! Christophe fera sa carrière d'homme du feu à Perpignan. L’HISTOIRE EST REDEVENUE BELLE.

 

AUJOURD’HUI, LE RECORD DE FRANCE DU 200 M BRASSE est détenu par Léon Marchand en 2’06’’59. Le record d’Europe appartient au Russe Kiriil Prigoda en 2’06’’12, le record mondial est la propriété du Chinois Qin Haiyang en 2’05’’48. Pour rappel, le meilleur temps de Christophe Deneuville est de 2’20’’44 en 1984.


 

LE STAGE AUX ÉTATS-UNIS DE JACKIE BATOT

De la cuisine au bassin


Dix ans avant les Jeux de Los Angeles, Jackie Batot était déjà venu aux États-Unis pour un stage fédéral de perfectionnement de trois semaines. A Bloomington, près de Cincinatti  et d’Indianapolis, l’entraîneur rémois a été invité à suivre les séances du grand Doc Coucilmann, l’entraîneur de Jim Montgomery, le premier nageur à descendre sous les 50’’ sur 100 mètres.


« C’était particulier, se souvient Jackie. Doc n’était pratiquement jamais présent près du bassin. Il avait avec lui des étudiants qui s’occupaient chacun d’un nageur et appliquaient les programmes qu'il avait concoctés. » La préparation par procuration ! « Mais, j'ai beaucoup appris auprès de lui. »


Les balayages succèdent aux ciseaux


Celui qui allait devenir le chef de la délégation américaine de natation à Los Angeles, avait bâti sa vie et sa maison autour de la natation. « C’était surprenant. Il avait quatre chambres dédiées aux souvenirs de ses quatre olympiades, s’étonne encore aujourd’hui Jackie Batot. Il avait d’autres chambres pour héberger ses nageurs dans les meilleures conditions. Ils pouvaient visionner leurs entraînements et corriger leurs défauts dans la salle de cinéma ou encore profiter de la salle de musculation. Et puis, sa cuisine... Quand on pénétrait dans cet univers, on ne voyait pratiquement rien. Il suffisait qu’il appuie sur un bouton pour que l’on soit « rassuré ». C’était une cuisine encastrée ! »


Nager avec deux tee-shirts et deux shorts


Les yeux encore écarquillés, Jackie replonge dans le monde de la natation. « J’ai énormément appris durant ce séjour. Un exemple avec la technique de jambes de la brasse venait de changer. » Fini les ciseaux, place aux balayages avec ciseaux genoux rapprochés. » Une technique que tous les brasseurs de l’époque n’ont pas assimilée...

Jackie Batot avec son groupe d'entraînement rémois, façon Doc.. (Deneuville au 1er rang à droite).

« A mon retour à Reims, j’ai adopté la méthode Coucilmann qui prônait l’écoute, la détente et la rigueur. » A cela, Jackie a ajouté sa patte et sa science du système D : « J’ai utilisé des sandows attachés à un mur et à la taille des nageurs qui devaient aller jusqu’au mur opposé ou encore des séances d’entraînement avec deux tee-shirts et deux shorts. »


De l'entraînement à contre-courant ! Peut-être le secret de la puissance de Christophe Deneuville, l’un des seuls à apprivoiser ce genre d’exercices, « l’un des seuls capables d’enchaîner 10 fois 100 m à 1’09 de moyenne et des départs rapprochés... », lâche son coach.

 

La cagnotte américaine


Le lien entre la famille Deneuville et Jackie Batot était très fort. « Christophe ne voulait pas aller aux Jeux si je n’y allais pas. » L’idée d’organiser une souscription a germé dans la maison familiale à Bétheny afin de financer le séjour américain du coach rémois.


A Los Angeles, Jackie Batot a fait de belles rencontres comme Colette Besson, la championne olympique du 400 m en 68.

« L’idée était de vendre une carte postale sur laquelle figuraient une photo de Christophe et la flamme olympique, explique Jackie. Moi, je devais l’adresser depuis Los Angeles à tous les donateurs. »


Pas une mince affaire puisque l’entraîneur-observateur a dû envoyer 700 cartes depuis les États-Unis !


Autre témoignage fort de la relation entre les deux hommes : lors du 80e anniversaire de Jackie Batot, Christophe, qui ne pouvait effectuer le long déplacement entre Perpignan et Reims, a tenu à enregistrer  une vidéo à l’attention de son maître à nager...


Le bassin olympique de Los Angeles... grandiose.

 

A (re) lire aussi : La saga des Jeux à la rémoise

 

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