La libellule devenue lion
- yves dogué
- 21 juin 2024
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 10 juil. 2024

Sans rival chez les amateurs, sans égal ou presque chez les pros, Daniel Londas nourrit pourtant un regret : sa défaite lors de son premier combat aux Jeux de Moscou... il y a 24 ans. Un mauvais souvenir atténué par l'ambiance festive de la cérémonie d'ouverture, celle du village olympique et par une carrière pro exceptionnelle qui a envoyé le Martiniquais de Reims sur le toit du monde des super-plume !
LES JEUX OLYMPIQUES A 45 MINUTES DE PARIS / ÉPISODE 7

JO - 35
PARIS 2024 / CÉRÉMONIE D'OUVERTURE LE 26 JUILLET
SANS MICHEL JAZY*, Daniel Londas n’aurait sans doute pas emprunté la trajectoire qui l’a propulsé tout en haut de la catégorie des super-plume un soir de juin 1992. Vous vous demandez en quoi, une vedette de l’athlétisme français a-t-elle pu se muer en accélérateur de carrière d’un boxeur venu de sa Martinique natale à Reims pour répondre à l’invitation d’un de ses anciens protégés sur l’île ?
Les JO de Moscou. - « En 1980, j’étais l’homme à battre dans ma catégorie (les légers) », se souvient Daniel Londas. Du haut de son mètre soixante-six et de ses presque 59 kilos, celui que mon ami et confrère Jean-Pierre Prault surnommera quelques années plus tard la « Libellule des rings », le Foyalais (natif de Fort-de-France) avait confirmé tout le bien que l’on pensait de sa carrière débutée en 1976.
A 26 ans – les talents ne quittaient pas les rangs amateurs quand les Jeux olympiques se profilaient -, Daniel Londas avait remporté « tous les tournois cette année-là ». Il était donc l’homme à battre à Moscou. Pas de chance, son adversaire du 1er tour était un enfant du pays soviétique. « Rybakov n’a pas fait grand-chose pendant le combat, il a beaucoup souffert. Mais, il était chez lui. Tout le monde m’a vu gagner... »
La déception était à la hauteur de ses espoirs, des espoirs placés en lui. Après sa défaite aux points frustrante, il se montre péremptoire. « J’arrête tout », décrète-t-il. C’est là qu’intervient Michel Jazy (l'ancienne vedette de l'athlétisme tricolore des premières lignes de ce papier), devenu responsable de la promotion chez Adidas... et spectateur assidu de tous les combats de Daniel. « Tes mains valent de l’or. Passe pro », m’a-t-il dit.
Daniel Londas jusqu’au sommet. - Pourtant, pendant six mois, personne n’a vu le Martiniquais – cette future libellule – virevolter autour d’un ring. « Et puis un jour, j’ai rencontré à nouveau Michel Jazy. Il m’a parlé comme un patron. Il m’adorait. » Ce qui lui permettait une liberté de ton sans concession. Et son « comment, tu n’es pas encore passé pro. Je veux que tu deviennes champion de France pro » a définitivement convaincu Londas de lancer sa carrière.

Aussitôt demandé (exigé), aussitôt (ou presque) réalisé. Les KO succèdent aux KO lors de ses premières sorties pros (8 sur ses 16 premiers combats). Si bien que le 26 avril 1982, il monte sur le ring parisien et devient champion de France – KO 2e round évidemment – contre Bailleul.
La suite est belle même si quelques petits accrocs ont jalonné son parcours et retardé son éclosion au plus haut niveau. Ah, cette fichue ceinture européenne qui l'a longtemps snobé La magnifique soirée européenne de juin 89 au Danemark, après quatre tentatives infructueuses redonna peps et ambition au « Vieux lion », un autre de ses surnoms.
Après l’Europe, enfin apprivoisée, c’est à la conquête du monde que « Papy Daniel » s'attaqua. Sans succès. Sa défaite à Epernay contre l’Américain Genaro Hernandez fût-elle la défaite de trop ? Eh non ! La libellule déploya une dernière fois ses ailes, le lion rugit encore plus fort que d’habitude et Papy-le-dur-au-mal usa le Tunisien Bou-Ali dans un combat de la dernière chance.
A renfort de directs, de crochets et d'uppercuts, le Martiniquais s'offrit un beau présent - à défaut d'avenir - sous la forme de la couronne mondiale.

Rémois d’adoption. - Pourquoi Daniel Londas avait-il quitté sa belle île et sa ville natale de Fort-de-France quelques années plus tôt pour atterrir à Reims 7 000 km plus loin ? « C’est Raymond Gitlemen que j’avais entraîné à la Martinique qui m’a proposé un jour de venir à Reims. » « Je vais en parler à mon président », m'avait-il dit.
Il n’a pas fallu longtemps pour que Marcel Dalsheimer adresse un courrier d'invitation à Londas et que son futur protégé lui réponde. L’affaire était dans le sac de sable.
Comment Daniel a-t-il alors assimilé le passage des séances dirigées par son premier entraîneur Louis Thorès aux leçons et conseils de Marcel Barbier et Marcel Dalsheimer, ses mentors dans la cité des sacres ? Plutôt bien si l’on en croit sa rapide sélection en équipe de France et son palmarès sans tache.
Sous la houlette des deux Marcel, puis plus tard de Gaëtan Micallef, Londas est devenu un « Papy Daniel » reconnu et respecté. Malheureusement, son histoire rémoise ne s’est pas terminée comme il l’avait imaginée. Les promesses d’embauche comme éducateur n’ont pas vu le jour. Daniel a exporté son talent comme prévôt à Rethel puis à Boulogne-sur-Mer où il exerce toujours à l’âge de 70 ans.
Retour aux Jeux. - Aujourd’hui, les souvenirs olympiques sont toujours vifs. En témoigne son débit de parole plus que logorrhéique. « Les Jeux, c’est extraordinaire. Au village, on côtoie tous les sportifs, on parle le langage des mains ! J’y ai croisé mon idole, le Cubain Théophile Stevenson, trois titres olympiques, une bête à boxer, une technique incroyable pour un poids lourd. »
Et puis, il y a aussi le moment magique de la cérémonie d’ouverture. « Ça parle espagnol, italien, anglais. Il y a une ambiance... Il faut avoir vécu cela pour comprendre. Et moi, j'ai vécu cela. Je m’en souviendrai toute ma vie. » Poing final.
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*Michel Jazy, après avoir été LA star du demi-fond français dans les années 60 (9 records du monde, 17 d’Europe, 43 de France), s’est reconverti dans la communication et le commercial, dans de grosses entreprises, Perrier puis Adidas dont il devint responsable de la promotion.
Merci à Richard Gaud pour le prêt de ses archives.
La boxe des maths

Il est quasiment certain que le poids léger des amateurs, devenu super-plume chez les pros doit regretter la grande époque du noble art, les soirées Canal. Aujourd’hui, tout a évolué. Les rendez-vous télé réguliers ont disparu et même l’expert ès-évitement (Londas) a changé... de silhouette. Ses quelque 70/72 kg feraient de lui un poids moyen, certainement aux qualités virevoltantes.
« Mais, attention. Je suis en pleine forme. Je viens de faire un check-up. Pas de diabète, pas de cholestérol, un peu d’hypertension. » Un vrai jeune homme qui vient de fêter ses 70 ans !
Ses qualités en ont enchanté plus d’un au faîte de sa gloire. Des peoples en particulier. Michel Jazy, on l’a déjà dit. Des vedettes de la chanson également. « Johnny Hallyday est venu me voir aux vestiaires après un combat difficile où j’avais été envoyé au tapis. Il m’a dit : « T’es un phénomène, toi. Tu te relèves à chaque fois. »
Autre chanteur fan de Daniel, Enrico Macias délaissait régulièrement « les filles de son pays » pour se rendre au bord d'un ring parisien. Son avis sur la libellule rémoise, sur cet éternel poison, était sans appel. « Vous avez une boxe mathématique », m’a-t-il affirmé. Comprenne qui voudra ou qui pourra !
PALMARÈS

65 combats amateurs de 1976 à 1980
(2 titres nationaux, vainqueur des Jeux méditerranéens 1979)
68 combats professionnels de 1980 à 1993
(58 victoires, 25 par KO - défaites - 1 nul), 24 championnats officiels, 16 titres / champion d'Europe ; 5 défenses européennes victorieuses / champion du monde WBO le 21 mars 1992 à San Rufo (Ita) contre le Tunisien Kamel Bou-Ali / Arrêt de sa carrière en juillet 1993.
LA PHRASE

« Je suis devenu Londas grâce à Michel Jazy. »
(Boulogne-sur-Mer en juin 2024)
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